Comprendre les mécanismes corticaux qui conduisent à la prise de décision du grimpeur reste une énigme.
Notamment quand il se met une destination en tête et n'en démord plus, perdant toute lucidité rationnelle face aux signaux extérieurs cherchant à l'avertir de son erreur.
Ainsi, en ce dernier lundi de Pâques, alors que toutes les prévisions météo annoncent la pluie et que les nuages noirs le confirment visuellement, Vincent, notre bleausard maison en séjour phocéen, suggère de se diriger vers La Matrice au vallon des Escourtines.
Etrange perspective d'aller grimper sur un site typiquement d'été, en face nord, sujet à l'embroussaillement chronique et qui n'a dû voir personne depuis octobre dernier.
Parmi ses compagnons d'infortune en manque d'inspiration, personne ne trouve à redire et l'argument final l'emporte : "s'il pleut, on sera à l'abri ; le retour au parking sera rapide et on pourra toujours se rabattre sur la salle Grimper"..
On envisage même l'installation de tyrolienne, de rappel et de pendule pour égayer l'après-midi (l'imagination sera bridée par la réalité de la configuration des lieux ).
Arrivé sur place, la confrontation aux traînées noirâtres sur le rocher ouvre les yeux : le dévers résurge de partout dans les voies dures : impraticable !
A droite, les dévers trempés ! |
En patrouillant le long des gouttières naturelles, l'extrémité gauche du site révèle un îlot de rocher sec sur ce petit morceau de mur à réglettes : six voies à se mettre sous les dents pour remplir une après-midi promise aux visites culturelles de notre capitale européenne.
Finalement, ce n'est pas si mal.
Malgré l'impression juste verticale, le mur penche assez au sommet pour créer un abri ... suffisant pour déposer la corde au sec.
Cette trouvaille miraculeuse sera éprouvée dès les premières gouttes de pluie.
Après un rapide élargissement de l'espace au pied des voies (envahi de salsepareilles), c'est parti pour l'enchaînement successif de ces quelques lignes d'une douzaine de mètres.
Les noms tout droit tirés des derniers épisodes de la saga Matrix éveillent quelques souvenirs virtuels et pourtant, ça réveille !!
Les mouvements eux, sont biens réels et les cotations à l'image du reste du site, sont serrées.
"Link" : la voie la plus abordable en 5c ; une traversée sur grosses prises avec une sortie en dièdre athlétique. Elle traverse le mur et coupe les autres lignes, établissant un lien ... comme le fait le transmetteur Link dans Matrix Reloaded . |
Les amateurs de rappels gazeux pourront s'amuser à sortir sur le plateau (rétablissement physique sans tomber sur le relais de "Link").
D'un solide pin, un premier petit rappel permet d'atteindre le relais du 8a "L'été en pente douce".
La corde en place pourra ensuite servir à penduler ...
Du relais de "Link", rétablissement immédiat sur le plateau ... moussu ! | "Allez !!!" | Expérience marrante à deux sur un relais suspendu : une jambe par dessus celle de son voisin ; fini les manières dans la cordée |
Pour montrer l'exemple aux plus jeunes ! | La balançoire magique ! | Instinct de grimpeuse |
Après cet intermède ludique, retour à la grimpe !
Le mur monte seulement à une quinzaine de mètres mais l'effort est sérieux : dans le bon 6. Les bacs ne sont pas si fréquents ou s'atteignent au prix de bons blocages.
L'escalade est plutôt technique sur des réglettes franches. Doigts solides nécessaires pour palier l'adhérence moyenne sur ce rocher licheneux de face nord.
Les mouvements en extension dans "Pentaconta" chauffent bien les gros muscles. | |
Au départ de "L'Oracle". Faudrait-il un brin d'extra-lucidité pour comprendre la méthode finale ? Un gros blocage et des placements précis qui mérite bien le 6b+. | Dans le film, "L'Architecte" représente le concepteur de La Matrice et en dévoile toutes les subtilités. Ici, c'est avant tout de doigts qu'il faudra pour garder la lucidité de bien lire la dernière section avant le relais. Même s'il n'y a pas de vent et qu'il ne fait pas trop froid, il vaut mieux se couvrir ... |
La ligne naturelle de "Niobé" suit une fissure ronde dans sa partie médiane, juste assez creusée pour servir de verticales à l'espacement idéal. |
Au-dessus de cette fissure, un trou aide au rétablissement sur la vire.
Pour rejoindre le bac suivant, deux méthodes : soit à gauche en tirant sur une verticale marron en main gauche, soit à droite en montant bien les pieds et un gros blocage (photo ci-dessous à gauche).
"Les Sentinelles", voie la plus difficile sur le topo, est laissée de côté pour ce jour de volume.
Ça tire déjà assez fort jusqu'au 6b+ et en faisant l'essuie-glace d'un côté à l'autre du secteur, les bras fatiguent vite.
Pour une après-midi qui semblait perdue, elle fut finalement bien remplie et La Matrice n'était pas un si mauvais choix.